Extrait de l’Aventure au quotidien – T1 – LCL (er) Roger Drouin – Editions Complicité ¹

Depuis la chute de Diên Biên Phù, les prisonniers français ont entamé une longue, pénible et inhumaine marche vers les camps de la mort installés dans la montagne, derrière la frontière de Chine. Il faut bien les appeler ainsi et ne jamais oublier que plus de 7O % des soldats français ainsi faits prisonniers, victimes des mauvais traitements de leurs bourreaux n’en sont jamais revenus…

Néanmoins, un certain nombre de chanceux arrivent à saisir une opportunité et à s’échapper de ces colonnes infernales. Recueillis par des partisans, ils sont ensuite exfiltrés, le plus souvent par la voie des airs. Les S55 y font des merveilles.

¹ voir : https://aerogend.com/livres/

RECIT

Le 22 juin 1954, stationnés à Louang Prabang au Laos, nous sommes mis en alerte pour une récupération d’évadés. Décollage une heure avant l’aube avec notre S55. L ‘équipage se compose du capitaine Darbois. pilote commandant de bord, de l’adjudant-chef Royer, copilote et de l’adjudant Flandin (gendarme détaché GFHATI ¹) , mécano de bord. Premier rendez- vous à Bac Nam Bac. C’est un poste avancé tenu par la Légion Etrangère et qui dispose d’une piste de fortune pour « Criquet », ces petits Piper Morane 500. On y fait le point avec les légionnaires.
¹ Groupement de Formations d’Hélicoptères de l’Armée de Terre en Indochine.

Le MORANE-SAULNIER MS-500 CRIQUET est la version française du FIESELER Fi-156 STORCH (cigogne). Photo : Alat.fr

La situation est la suivante : deux paras faits prisonniers à Diên Biên Phù ont réussi à fausser compagnie aux viets durant la longue marche vers la Chine. Après avoir erré 40 jours dans les montagnes, les vallées et la jungle du Haut Laos, sans boussole, se nourrissant de baies, de pêche dans les ruisseaux et surtout de pousses de bambou, ils ont survécu et sont arrivés au village méo de Ban Phié Lat, situé dans la vallée de Nam Ban.

Paysage typique du nord Laos.

Là, incapable d’aller plus loin, un des deux paras, le Sergent Delobel a du s’arrêter victime de dysenterie et du paludisme. Son copain, plus jeune et en meilleur état, sur les indications des Méos*, a pu rejoindre le poste de Bac Nam Bac où nous sommes…

* voir Info Box “Groupes ethniques en Indochine, ci-dessous

Groupes ethniques en Indochine

L’Indochine compte une cinquantaine de groupes ethniques différents; Les Méos ou Miaotze sont répartis dans les villages des montagnes au nord du 20ème parallèle. les principales ethnies sont les Annamites, les Thais, les Muongs, les Kmers, les Chams, les Indonésiens, les Yaos, les Hoklos et les Lolos.


D’après les indications que ce dernier nous donne, le village Méo est situé à flanc de colline, dans un coin fort mal pavé et où le posé serait, d’après lui, impossible. ll va donc falloir récupérer son copain par hélitreuillage. Ce qui implique de calculer la mission avec précision. En effet, équipage à 3, plus le para rescapé pour nous guider, plus le capitaine du poste qui veut absolument nous accompagner, plus le stationnaire durant l’hélitreuillage, plus « le gus ›› à récupérer, plus le pétrole pour 1 heure 30 de vol aller-retour environ… Le devis de poids va être délicat…

Décollage à l ‘aube. Les bancs de brouillard ne facilitent pas la navigation. En dessous c’est très mal pavé et peu accueillant… Je préfère ne pas envisager la panne… Le para a du mal à se repérer et l ‘ambiance devient tendue. Allons-nous devoir renoncer et faire demi-tour

Après 35 minutes de vol le para reconnait le village. Le pilote effectue une reconnaissance. Le coin est peu engageant. Non seulement le pose est effectivement inenvisageable, mais il n’est pas question non plus de faire un appui sur une roue. ll va vraiment falloir l’hélitreuiller ! De plus on sera vent arrière dans une vallée étroite et encaissée… Tout pour plaire quoi !

Premier passage pour alerter notre survivant. ll sort effectivement d’une paillote et je lui largue un message lesté pour lui demander de gagner les hauts du village.

Carte des lieux, à deux pas de Diên Biên Phù.

Deuxième passage, le para est au rendez-vous. Je déroule le câble. Dans mes écouteurs, j’entends le pilote qui rame pour tenir le stationnaire car la température extérieure est élevée et nuit au rendement des pales et donc à la portance du taxi. Dieu, que ce treuil est lent. La sangle descend doucement, doucement… et arrive a quelques dizaines de centimètres des mains du naufragé. ll va la saisir quand le pilote hurle : « Bon Dieu je perds les tours. Arrête le câble. Je dégage. ›› Et joignant le geste à la parole, il donne du manche en avant et plonge dans le trou pour reprendre des tours.

Panique, déception et désespoir en dessous…Dans le S55, silence et angoisse… Le crash a été évité de justesse. Mais ce n’est pas fini. Aurons-nous assez de tours, donc de puissance pour franchir la crête boisée en face, qui se rapproche bien vite et nous semble être aussi haute que l’Everest ? Les roues flirtent avec les branches et nous vérifions bien malgré nous ce que veut dire «faucher les marguerites ››… Mais ça passe ! Tout juste mais ça passe !

Deuxième tentative. Le capitaine Darbois sait bien que les viets ont du repérer notre manège et qu’en cas d’échec notre para est condamné. lls viendront l’exécuter cette nuit…

Il décide donc de réduire le temps de stationnaire au minimum. Pour cela il me demande de descendre la sangle durant l’approche, de faire comprendre au para qu’il doit saisir la sangle sans trainer et que je devrais le remonter pendant que le S55 dégagera…

Après un virage serré, on passe à l’exécution…L ‘approche se déroule normalement. En bas, je vois le para qui est impatient et, à l ‘évidence bien décidé à ne pas louper, ni la sangle, ni sa chance… À plat ventre sur le plancher cabine je lui fais force signes pour lui expliquer la manœuvre. Bien inutilement d’ailleurs car le gus est aux aguets… ll se saisit de la sangle, l’enfile en un tour de mains comme un vieil habitué. Et le pilote plonge déjà dans le trou.

Le para est a peine remonté au niveau du plancher cabine que nos roues flirtent de nouveau avec les feuilles de la crête d’en face… Mais heureusement, elles ne font que flirter avec la végétation. On moissonne un peu les feuilles mais on passe…

Le retour se fait en silence. Chacun mesurant que nous avons sans doute utilisé notre joker… Le sergent Demobel ne pesait plus que 45 kg… Au fond c‘est peut-être grâce à ça qu’on est passé ? Pourtant on ne va quand même pas remercier les viets !

Le MDL DELOBEL pendant son évacuation, à bord du S55. Photo : ALAT.fr
L’arrivée du S55 à Ventiane. Photo : ALAT.fr

EPILOGUE

Après un séjour de quelques mois à l’hôpital d’HANOI, l’artilleur René DELOBEL fit une visite, avant son rapatriement, à la base hélicoptère De Lattre de Tassigny, à SAIGON, pour remercier ses sauveteurs.

Au dos d’une photo faite par l’auteur du récit, lors de sa récupération, il porta quelques mots et son adresse en métropole. En 1994, 40 ans plus tard, devant se rendre dans le Pas-de-Calais, Jean FLANDIN eut l’idée d’envoyer un mot à l’adresse indiquée et d’y joindre quelques photos.

Un bon mois plus tard, une réponse lui parvenait du major DELOBEL, retraité depuis 1986. l’adresse avait bien sûr changé, amis la Poste, et peut-être aussi les voisins, avaient fait le nécessaire pour que le contact puisse avoir lieu. Des retrouvailles, sans nul doute, très indochinoises, en perspective.

LES EVACUATIONS AERIENNES

Du 7 mai au 20 juillet 1954, ce sont 80 rescapés de Diên Biên Phù qui sont récupérés dans la jungle et les montagnes couvertes de forêts du Haut Laos, par hélitreuillage ou, en l’absence de treuil, au moyen d’une échelle de corde. Et durant la trêve du 18 au 26 mai, six H19 évacuent 474 blessés en 157 heures de vol. Après le cessez-le-feu du 21 juillet 54, les missions d`Evasan et de récupération des évadés seront complétées par des transports de commissions d’armistice.

POUR APPROFONDIR

Les groupes aériens d’observation d’artillerie en Indochine – Philippe Roudier – revue Historique des Armées.https://journals.openedition.org/rha/7099

L’adaptation tactique de l’armée de ll’air et la guerre d’Indochine (1945-1954) – Philippe Gras – Matériaux pour l’histoire de notre temps.
https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_1992_num_29_1_405020

1949 en Indochine, un tournant ? Michel Bodin – Guerres mondiales et conflits contemporains 2009/4 (n° 236), pages 135 à 154
https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2009-4-page-135.htm

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