L’actualité estivale en cette fin d’août, met l’accent sur les phénomènes de baïnes, les courants dangereux du littoral aquitain. Dans les années 80, les interventions sur des nageurs emportés vers le large par le courant étaient réalisées par hélitreuillages, quand l’hélicoptère était le seul moyen de sauvetage pour leur venir en aide. C’était l’époque héroïque où chaque saison estivale, les équipages faisaient face à des dizaines de missions chaque semaine, où la survie se jouait en quelques minutes, parfois en quelques secondes.

Récupération de plongeur. Photo : Natacha Laporte.

Les saisons estivales se suivent et ne se ressemblent pas. En 1960, le lieutenant LEROUX, qui commande la section aérienne de la gendarmerie de Limoges à Feytiat, sur ordre du commandement régional de la gendarmerie d’Aquitaine, met en place un détachement saisonnier sur le bassin d’Arcachon. C’est le début de l’aventure du sauvetage en mer saisonnier qui se concrétisera par la création de la section aérienne de La Teste de Buch, le 1er juillet 1964. A cette époque le bassin retentit du bruit des turbines des deux Alouette 2 qui succèdent au moteur à piston du Bell 47 G2.

Très vite les équipages d’hélicoptères se familiarisent avec le monde marin et les particularités de la côte Atlantique, dont les vagues entraînent de fréquents sauvetages de nageurs en difficulté. En effet, chaque été, les touristes du nord de l’Europe, se ruent sur le littoral Aquitain, pour profiter des plages interminables, bordées de dunes qui leur offrent un retour à la nature, de la pointe du Médoc à la frontière espagnole.

A cette époque, il n’existe pas encore de moyens efficaces pour sortir de l’eau les infortunés nageurs qui se sont fait prendre dans les mortels courants de baïnes. Les jets-skis apparaîtront beaucoup plus tard vers les années 90 et se généraliseront dans les postes de secours. L’hélicoptère est alors le seul moyen d’extraire de l’élément marin les personnes en difficulté lorsque les limites du traditionnel filin des sauveteurs sont atteintes (100m de long : il n’est efficace que lorsque les infortunés nageurs n’ont pas dérivé au-delà de cette longueur).

Le plongeur arrive sur la victime. Photo : LS

A la demande des autorités administratives les hélicoptères de la gendarmerie prennent leur part dans le dispositif mis en place par l’Etat sur la côte Aquitaine pour faire face à l’afflux des estivants. En 2022, près de 60 ans après les débuts de leurs anciens, les équipages des bases de gendarmerie de Biarritz, Mimizan, et Cazaux, renforcent toujours celles de la Sécurité Civile de La Rochelle et Lacanau pour assurer le secours sur les espaces les plus dangereux du littoral. A Arcachon, puis très vite à Bayonne (1966), Mimizan (1971) et enfin Royan (1986), le principe de l’organisation du secours sur le littoral, est bien rodé. Il atteint son apogée dans les années 80, où il est prévu pour faire face à l’hécatombe : plus de 40 personnes perdent la vie chaque été par noyade sur la côte aquitaine.

“Base Hélico La Teste, ici le poste de secours du Cap-Ferret, demandons intervention hélicoptère!”

On a du mal à imaginer comment les gendarmes du ciel font face à la demande des postes. Dès 10 heures, l’hélicoptère est à poste sur sa DZ*, prêt à décoller, réservoir de carburant au quart pour rester dans les limites du devis de poids, matériel médical à bord. L’unité est en veille maximale, sur la fréquence maritime et sur les réseaux radio du ministère de l’Intérieur dont sont équipés les postes de sauvetage.

* DZ : Drop Zone, traditionnellement zone destinée à l’atterrissage de parachutistes ou de matériel parachuté. Par extension, aire d’atterrissage d’hélicoptère hors zone d’aérodrome.

Lorsque la marée commence à remonter, on entend les premiers appels qui témoignent de l’activité de sauvetage. Cela part du sud, des postes des Landes, où déjà Mimizan s’active. Et puis quand çà atteint Biscarosse-Plage, le premier appel retentit : “Base Hélico La Teste, ici le poste de secours du Cap-Ferret, demandons intervention hélicoptère!”, s’ensuit la description du sauvetage que l’équipage n’écoute même pas. Chaque seconde comptant, le pilote court vers sa machine, pendant que le radio appuie sur la sirène d’alerte qui retentit dans le hangar.

A cet instant précis, chacun sait ce qu’il doit faire. Le médecin s’installe derrière le pilote et enfile son gilet de sauvetage, le plongeur revêt sa tenue de surface et le mécanicien, qui n’est pas encore MECBO*, contrôle le déroulement de la mise en route, pendant que le pilote pousse graduellement la manette de débit vers le cran de vol.

*MECBO, mécanicien de bord.

L’Alouette 2, pilote, mécanicien, plongeur et médecin s’y entassaient dans une cabine étroite… Photo : L.S.

A bord, on vient de repérer les quatre têtes qui sortent de l’eau, quatre têtes d’épingles, par moment masquées par la houle.

Moins de trois minutes après le message, l’hélicoptère est en vol. Pendant la mise en route les éléments sont parvenus au pilote qui prend le cap 285° vers la pointe du Ferret : “Deux nageurs en difficulté, emportés par un courant de baïne, assistés par deux MNS du poste CRS. Un véhicule 4 X 4 est sur la plage au droit de l’accident”.

Trois minutes après son décollage, le pilote entre en contact avec le poste de secours, qui lui précise que les victimes ont déjà dérivé à 200 mètres au large, un peu plus au sud du poste. En approchant, l’équipage distingue le 4X4 sur la plage avec un attroupement conséquent d’estivants. La DZ à même le sable est déjà préparée, les cours de sécurité, dispensés avant la saison par les équipages, ont porté leurs fruits.

A bord, on vient de repérer les quatre têtes qui sortent de l’eau, quatre têtes d’épingles, par moment masquées par la houle. Un des secouristes a pris ses palmes et fait le “V” du signalement. Ils sont repérés. Les choses s’enchaînent alors selon un scénario bien rôdé : Le pilote pose son appareil sur la plage, le mécanicien démonte la porte gauche, tandis que le médecin descend avec son matériel. Puis ils prennent une trajectoire vers le large, qui se terminera à un diamètre rotor à proximité des nageurs, vers 1m50 à 2 mètres de hauteur maximum. Dès que l’appareil est stabilisé, le plongeur saute à l’eau, fait signe que tout est Ok en remontant à la surface, puis se propulse en deux coups de palmes vers le pack. Un MNS lui a déjà désigné la victime la plus affectée, peut-être avec un début de noyade, c’est elle qui remontera la première.

La mécanique de la baïne, un phénomène de surpression.

Principe de fonctionnement d’une baïne


Les baïnes, ou “petites bassines” en patois landais, sont une succession de cuvettes de 2 à 3 mètres de profondeur, causées dans le sable des plages, par l’action conjuguée du courant Nord-Atlantique le long de la côte aquitaine, qui a tendance à arracher le sable du littoral, mais aussi du vent à dominante ouest qui s’accélère, par effet de Venturi sur le profil irrégulier du cordon dunaire.


On trouve des baïnes essentiellement de l’embouchure de l’Adour, jusqu’à la pointe du Médoc, mais aussi sur la côte ouest de la presqu’île d’Arvert, appelée côte Sauvage. C’est une des raisons de la création du détachement saisonnier de Royan-Médis.


Le phénomène est lié à une action mécanique par effet de Venturi, qui fonctionne grâce à l’action simultanée du profil du réservoir et des forces de pression ou de dépression liées à l’action de la marée.


La baïne est la démonstration de la règle des douzièmes que connaissent bien les marins, lors du calcul du marnage pour rentrer au port avec leur bateau. La moitié du volume d’eau s’échappe entre la 3ème et la 4ème heure, créant une dépression et une accélération du flux qui emporte les nageurs et en début de marée montante la moitié du volume d’eau pénètre dans le réservoir pendant la 3ème et la 4ème heure, la houle s’engouffre dans ces cuvettes par dessus le banc de sable, créant une surpression, avec le même effet pour les infortunés qui s’aventurent dans ces pièges mortels.


Le courant ainsi formé est de l’ordre de 1 à 1,50m par seconde. Pour mémoire, un nageur olympique du 100 mètres nage libre, fait du 2m/sec. Un courant de baïne est donc capable d’épuiser les meilleurs nageurs.


Les étapes du piège illustrées sur le croquis ci-dessus, sont données à marée montante:


1)- les vagues passent par dessus le banc et provoquent une surpression (flèche blanche).
2)- les baigneurs se sont amusés dans les vagues au niveau du banc de sable, qu’ils ont rejoint en passant par la baïne, dont le niveau leur arrivait aux chevilles. Désormais la profondeur est supérieure à 1m50 et le courant est en action.
3)- au lieu de revenir par le banc (flèche verte), ils veulent couper directement, comme à l’aller (flèche rouge).
4)- avec de l’eau jusqu’à la taille, puis sur la pointe des pieds, le courant les arrachent et les emportent (flèche bleue).
5)- ils s’affolent et nagent vers la plage, s’épuisent à contre-courant, et…se noient.
6)- la seule alternative est de nager parallèle à la plage, vers le banc suivant (flèche orange).



Paradoxalement, vu de la plage, c’est la sortie de baïne, endroit le plus dangereux, qui est le moins impressionnant pour les novices, et qui les invitent à commettre une erreur fatale.


En effet à ce niveau les vagues écrêtées par l’effet du courant (au niveau de la flèche bleue), semblent plus propices à la baignade, contrairement au niveau du banc, où elles déferlent et sont plus impressionnantes. Mais sur le banc existe un autre risque, lié à l’effet mécanique des vagues. En se fracassant, elles causent des traumatismes physiques, parfois gravissimes (fractures du rachis), à ceux qui ne savent pas les aborder.

Dès cet instant, le mécanicien prend en compte l’appareil et guide le pilote par une translation vers l’avant gauche

Simultanément, le pilote fait translater son appareil en arrière, pour retrouver sur l’avant gauche de la bulle, le visuel des nageurs et leur éviter de subir trop longtemps le souffle du rotor, et en même temps il crée un repère à la surface marine sur l’avant droit, grâce aux vaguelettes provoquées par le souffle de la machine. En effet, malgré le mouvement de houle et parfois, les vagues déferlantes, il faut s’accrocher à quelque chose, pour définir les translations de l’hélicoptère, sur une surface en perpétuelle agitation. Les vaguelettes créées par l’agitation de surface, se transforment en autant de bulles puis de mousse, qui constituent ce fragile repère qui aide à contrer les illusions sensorielles qui affectent le pilote, d’autant plus que la mer est calme.

Dès cet instant, le mécanicien prend en compte l’appareil et guide le pilote par une translation vers l’avant gauche, de manière à se positionner à la verticale de la première victime.

A la radio, la base signale quatre nageurs en difficulté, cette fois à la plage de La Salie, un peu plus au sud. Le tempo de l’après-midi commence à se préciser…La première victime a été déjaugée et rejoint la cabine au rythme lent du treuil pneumatique qui équipe alors les Alouette 2 SA 318C. Elle est bientôt suivie de la seconde victime. Dès qu’elle est à bord, le pilote rejoint la DZ du poste de secours à l’endroit où a été déposé le médecin. Plus tard, à l’arrivée des Ecureuil, l’équipage n’ayant pas besoin de déposer la porte, le médecin restera à bord, pendant la première rotation. Mais, de 1962 à 1983, se sont les Alouette 2 qui sont à la manœuvre.

Sauveteurs côtiers, équipage, tous s’affairent auprès de la victime assistant le personnel médical.

Le médecin est un appelé du contingent qui sort de l’école de médecine des Armées de Libourne. Après un stage de réanimation dispensé par l’hôpital militaire de Robert Picqué, qui a été suivi en partie, par tous les équipages d’hélicoptères*, il découvre les réalités de la médecine d’urgence sur la plage. C’est très souvent le choc, pour ces jeunes médecins, qui ont jusqu’à cette période appris la réanimation dans des milieux aseptisés.

* Jusqu’en 1992, date de la dissolution de l’école de Libourne, ce sont les médecins militaires qui occuperont les places à bord des appareils des bases côtières. Et ce sont les équipages des machines et les plongeurs qui font office d’assistant médicaux, même en réanimation. On voit alors les mécaniciens déployer des trésors d’imagination pour fabriquer des caisses d’urgence rustiques et pratiques pour, à la fois, loger dans l’habitacle exigü des hélicoptères légers, mais aussi, comporter les emplacements nécessaires pour tous les médicaments et drogues nécessaires aux cas les plus ultimes. Chacun sait, par exemple, où se trouve l’atropine ou le soludécadron. Chacun sait préparer une perfusion pour la tendre au bon moment dans le stress d’une réa sur plage. Tous ont appris les symptômes, traitement et gestes nécessaires aux quatre cas de noyade.

Il n’est pas rare pour un équipage d’enchaîner plus d’une dizaine de missions dans une journée

Pendant que le médecin de bord examine, les deux victimes, l’équipage revient chercher les deux CRS et le plongeur. Entre temps le médecin annonce qu’une des deux victimes est en état de noyade stade 3 et que la première est en stade 1. Il procède à la réanimation d’urgence.
Dès que les secouristes ont été déposés à leur poste, le pilote met le cap sur la pointe de La Salie pour procéder cette fois à l’hélitreuillage de quatre nageurs et des trois MNS venus les secourir. Il reste 180 litres de carburant à bord…

La suite des missions est presque une routine pour l’équipage : hélitreuillage du second pack à La Salie, retour à la base pour ravitaillement (il reste 70 litres à l’arrivée). A l’issue, récupération du médecin et de son patient en état de noyade stade 3, puis transport du Cap-Ferret, en direction de l’hôpital d’Arcachon.

L’équipage au complet, remet le cap sur La Salie pour procéder à l’évacuation d’une victime également de noyade, à nouveau vers le CH d’Arcachon.
Tout l’après-midi, sera rythmée par ce type d’interventions entre-coupées par des posés sur les DZ des postes où directement sur le sable, pour les cas les plus urgents (noyades graves, accidents cardiaques, blessures dans les rouleaux de bord avec paralysies,…).

En début de soirée, au retour des estivants vers leurs hébergements de vacances ou vers les campings, commenceront les accidents de la route, les recherches d’enfants perdus, où le renseignement des unités territoriales sur les conditions de circulation à la sortie des plages…
A cette époque, les bilans médicaux sont particulièrement lourds en fin de saison. Ainsi, pour la seule saison estivale 1986, La Teste, Mimizan et Bayonne cumuleront plus de 600 missions de sauvetage en deux mois!

Les pilotes des bases littorales, sont au même régime que leurs collègues des unités de montagne. Il n’est pas rare pour un équipage d’enchaîner plus d’une dizaine de missions dans une journée, ce qui implique de dépasser allègrement la vingtaine de procédures de mises en route, parfois dans des conditions de sécurité très limites (environnement sableux, proximité du public, engins volants de toute nature,…).

Le rythme des permanences est aussi soutenu : les congés sont pris au maximum hors juillet et août. Les alertes à La Teste sont partagées entre les appareils de dotation. En 1983, l’unité est dotée du premier Ecureuil opérationnel (FMJCB – N°1574), mais elle dispose encore d’une Alouette 2 (FMJBJ – N° 1940) et d’un Cessna 206F (N°2173 – FMJAE).

Ce que voit le plongeur, sous une déferlante. Photo: LS

Pendant la saison estivale, chaque spécialiste effectue des périodes de quatre jours d’alerte. Le premier jour, l’équipage assure sur Ecureuil le secours au profit des postes de secours des plages, le second jour, il effectue les missions au profit de l’Arme sur l’Alouette 2, généralement au profit des compagnies de la zone d’action, ceci jusqu’à la mise en service d’un second Ecureuil (saison estivale 1984)*. Le troisième jour, l’équipage passe aux commandes de l’avion qui le conduit à effectuer des missions sur tout le territoire national. Il s’agit souvent de transport d’enquêteurs, de magistrats, de détenus ou simplement de pièces à convictions dans le cadre des enquêtes. Le quatrième jour l’équipage est de repos, si la mission avion ne l’a pas conduit dans un périple de plusieurs jours.

Ainsi se passe les saisons estivales le long du littoral Aquitain jusqu’aux années 90.

Progressivement au début des années 2000, la mise en place de moyens de sauvetage par les communes, va permettre aux équipages de se tourner davantage vers leur cœur de métier et de faire face à l’augmentation des crimes et délits qui affectent tous les déplacements conséquents de population. Le flux migratoire saisonnier n’y échappe pas, et d’une activité de secours soutenue, les équipages sont passés à une activité de police toute aussi conséquente.

Une chose est certaine, la pratique des missions en milieux périlleux, que ce soit en montagne ou en mer, restera toujours pour les équipages de la Gendarmerie celle qui procure une expérience pratique et technique du plus haut niveau.

L’hélitreuillage en mer des nageurs emportés par le courant ou les sauvetages sur embarcations en détresse en sont, pour le milieu maritime, les exemples les plus concrets.

Article diffusé dans AEROGEND N°59 – Hiver 2019.
Et pour en savoir davantage, reportez-vous à “L’aventure au quotidien, tome 2, chapitre 4, pages 61 et 77, éditions Complicités, collection l’Art de Transmettre ISBN 978-2-3512-0163-3″

2 commentaires

  1. très bel article qui montre la particularité des interventions sur la cote des landes et ce depuis plus de 50 ans

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