
Aujourd’hui, je vous rapporte une histoire sans date, avec juste une zone : le large de Capbreton. Là où les grands fonds descendent sous la barre des 3000 mètres. Vous comprendrez que ce détail à son importance, puisque le gouf de Capbreton est un gigantesque canyon de presque 300 kilomètres de long, atteignant 15 kilomètres de largeur. L’histoire aéronautique est à la marge, puisque c’est un de nos plongeurs, qui me la rapporte. Il l’a entendu d’un autre plongeur, celui qui a fait le secours. C’est un peu l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’orque, puisque nous sommes marins, mais le sauvetage est bien du domaine aérien, du moins en partie.
C’est André Bardyn, plongeur-sauveteur du DAG de Bayonne-Biarritz, qui fait ce récit :
“ C’est l’histoire d’un couple de personnes âgées, qui embarquent un après-midi depuis la sortie du port de Capbreton, pour une promenade en mer. Si la journée a bien commencé, la suite est beaucoup moins agréable, vous allez comprendre.
Alors qu’ils sont relativement éloignés du trait de côte, le moteur de leur petit bateau tombe en panne. Leur infortune ne s’arrête pas là, puisque l’action conjointe de la dérive et du vent les pousse de plus en plus loin de la côte, si bien qu’ils ne sont plus visibles depuis le littoral.
Voulaient-ils faire une belle partie de pêche ou Monsieur cherchait-il à séduire Madame, tout ceci, c’est le cas de le dire, tombe à l’eau. Et l’eau, à cet endroit, il y en a sous la quille, ils sont sur les grands fonds, le gouf de Capbreton.
Comble de malchance, la radio de bord, une VHF marine, est du modèle portatif, de faible puissance, si bien que malgré leurs appels, personne ne leur répond. Au fur et à mesure que le temps s‘écoule, la batterie s’épuise et le silence s’installe. Les voilà seuls au milieu de l’océan, les heures s’ajoutent aux heures et leur moral plonge. Le soleil aussi plonge et avec lui, l’arrivée de la nuit qui laisse peu de chances pour d’éventuelles recherches.
Ils se croient perdus.
A la base d’ECU64 (1), à Biarritz, le téléphone sonne. Le CROSS-A d’ETEL demande une intervention sur une petite embarcation avec deux personnes à bord, au large de Capbreton avec un point GPS, sans plus de renseignements.
CROSS-A
CROSS-A : Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetagesur l’ Atlantique. Les CROSS assurent une mission générale de coordination des activités de sécurité et de surveillance des activités maritimes, dans le cadre de l’action de l’État en Mer. Le rôle du CROSS est de recevoir des alertes à partir d’une veille radio et téléphonique permanente, y compris celles émises par les balises de détresse et les systèmes de communication par satellite. Il assure aussi la direction des opérations de recherche et de sauvetage.
Le CROSSA d’Etél est basé dans le Morbihan, sa zone d’action va du droit de la Pointe de Penmarc’h au nord, jusqu’à la limite des eaux espagnoles.
“ Terrifiés par l’imminence du choc, ils se voient perdus. ”
L’équipage composé de Frédéric le pilote, d’Alain le mécanicien-treuilliste et de Francis, le plongeur se prépare rapidement pour le décollage et comme c’est le cas pour ces « gendarmes coast-guard » du fond de l’Aquitaine, en moins de cinq minutes ils sont les patins en l’air, direction plein nord, vers le large de Capbreton. Après une bonne demi-heure, l’appareil est de retour à la base.

Et c’est Francis, le plongeur qui m’a raconté le détail de cette mission, somme toute classique, mais en réalité, pour le moins surprenante.
Le couple entendant l’hélicoptère très proche s’active de toutes ses forces restantes pour se faire repérer, se sachant perdu. Évidemment ils ne savent pas que l’hélicoptère est là pour eux et que l’équipage a reçu la position exacte de leur embarcation. Par quel miracle, ces pilotes d’hélico peuvent-ils être aussi précis ?
Aussi c’est avec un soulagement évident qu’ils voient le plongeur nager vers eux, après avoir été largué à proximité.
Je ne connais pas le déroulement de l’évacuation des personnes et de la récupération de l’embarcation. Vraisemblablement et par mesure de sécurité, ils ont été hélitreuillés avant la nuit, puis la position de l’embarcation a été transmise au canot tout-temps de la SNS de Capbreton pour qu’une remorque soit effectuée. Mais je me souviens très bien du récit de Francis, qui était intervenu racontant la peur que les naufragés lui avait confiée.
Après des heures passées dans l’océan, épuisés, ils se sont laissés choir au fond de leur bateau. Tous leurs messages de détresse et leurs« mayday » sont restés sans réponse. Aucun bateau à l’horizon, leur espoir d’être secourus leur semble de plus en plus infime…
Soudain un bruit de vague non conventionnel (et pour cause) se fait entendre. Un objet nageant non-identifié se dirige vers eux à une vitesse importante. Terrifiés par l’imminence du choc, ils se voient perdus. Mais cet « ONNI » les dépasse de peu et la vague de son étrave leur passe littéralement à côté.
Le sous-marin, puisque c’était cela, disparaît vers le fond du gouf de Capbreton.
Il y a plein de questions pour une détresse qui finit bien. Évidemment, l’arrivée de l’hélicoptère de sauvetage n’est pas due à une simple coïncidence. Et le passage du sous-marin à proximité du bateau des infortunés y est pour quelque chose . On imagine le marin à la veille périscopique qui découvre la frêle embarcation à la dérive ( heureusement à un écart minime mais suffisant de sa trajectoire ), et transmet l’information à son pacha (2) celui-ci faisant alerter le CROSS-A d’Etel.
Le vacataire du CROSS sait qu’il peut compter sur la réactivité de l’équipage de permanence du DAG à la base de Biarritz-Parme. A cette époque, l’hélicoptère y est en alerte permanente et immédiate de jour (décollage en trois minutes) et assure un décollage dans la demi-heure de nuit, lorsque les conditions sont réunies. C’est aussi le seul hélicoptère d’Etat, dans cette portion du territoire, à la limite de la frontière espagnole depuis 45 ans (3). Sa décision est évidente, il déclenche ECU64.
Votre imagination vous laissera deviner la suite de cette histoire, le retour des infortunés marins à terre, les questions qu’ils se sont posées, le récit qu’ils ont bien pu faire à leurs proches de cette incroyable aventure. Le CROSS, s’est bien gardé de diffuser une quelconque information à l’équipage, cela aurait été dévoiler la position d’un sous-marin français croisant dans le Golfe de Gascogne. On suppose qu’avec les moyens radios ultra sophistiqués embarqués un bord d’un sous-marin , il doit bien y avoir une petite place pour la conventionnelle radio VHF-Marine utilisée par tous les marins du monde… Laissons le « Secret Défense » reposer sur cet évènement, l’équipage de l’hélicoptère, grâce à Francis son plongeur, a eu, quant à lui, la bonne explication.
Pour nos deux marins infortunés, en tout cas une belle aventure qui se termine bien. Qu’ils pourront raconter le soir à la veillée, si Monsieur et Madame bien entendu n’avaient rien à cacher. Dans le cas contraire, profil bas, ou comme le disent Dupont et Dupond « motus et bouche cousue » …”
(1) l’hélicoptère du détachement aérien de la gendarmerie (aujourd’hui SAG, Section Aérienne de gendarmerie) de Bayonne, basé à Biarritz-Parme.
(2) dans la Marine Nationale, le pacha est un terme d’argot marin pour désigner le commandant du bateau.
(3) la gendarmerie a positionné l’unité de Bayonne en 1966, de manière saisonnière et en septembre 1980, de manière permanente.