Les anciens numéros des bulletins de l’association originelle (AAFAG) recèlent des pépites, et dans le numéro 16 de décembre 1999, nous publions ce récit de notre regretté Michel Coudurier. Michel y raconte son expérience de moniteur-avion avec des lignes qui devrait régaler les aficionados du manche à balai, puisqu’il concerne les avions au temps où les gendarmes se formaient à l’ESALAT de Dax, sur Nord 3400.
Photographie d’en-tête : Jarrige
S’il est un épisode inoubliable dans la vie d’un pilote, c’est sûrement celui de son premier solo. Un moment intense pour l’éleve mais une responsabilité pour le moniteur qui est seul à juger si le candidat a atteint le niveau nécessaire, technique et psychologique.
Une erreur d’évaluation de ces capacités peut amener à se poser des questions en regardant évoluer l’avion de façon insolite, voire inquiétante… La perspective d’un crash vient alors à l’esprit et peut provoquer une sérieuse montée d’adrénaline chez le pauvre instructeur, témoin impuissant d’un drame potentiel.
Fraîchement qualifié moniteur à l’ESALAT, je me retrouve flanqué des gendarmes AGNONA et VAN OLFEN (EVERT, pour les intimes) élèves d’un stage qui doit prendre fin en début novembre. Nous sommes en l973.
A la fin de la phase « Bases ››, les premiers lâchers, pour des raisons de sécurité, ont lieu sur le terrain de DAX. La voiture starter, appelée familièrement « LUSTUCRU ›› en raison de sa peinture à damiers jaunes et noirs, est mise en place face à la tour de contrôle entre le parking et le taxiway. Le vent est calme et les turbulences pratiquement nulles. Un temps à troquer la combinaison de vol pour le maillot de bain.
Mon élève, qui a une progression plutôt bonne, piaffe d’impatience depuis quelques jours et ça se comprend. Le premier à être lâché, c’est le meilleur de la promotion, qui en douterait ?
La séance en double s’est bien déroulée avec, pour la forme, les remontrances et reproches traditionnels pour amener le virtuose à la plus grande vigilance. Après quelques tours de piste qu’il me négocie dans les règles, je lui demande de parquer l’avion près de la voiture starter, Je boucle les ceintures, lui fais les dernières recommandations d’usage, ferme la verrière et rejoins la « Lustucru » en veille sur la tour et sur une fréquence réservée aux solos.
L’avion commence à rouler lorsqu’un moniteur arrive en courant et m’aborde aussitôt.
> Berthier te demande au téléphone.
> C’est pas le moment, qu’est-ce qu’il veut ?
> J’en sais rien, il n’a pas donne d’explication. Il y a quelque chose qui merde. Il n’a pas l’air content.
> Et il est où le téléphone ?
> Dans la salle, près du link-trainer.
La salle de cours en question est située à proximité de l’escadron avions, près de la CRALAT. Je prends mes jambes à mon cou et me dirige vers le local. Lorsque je l’atteins, je saisis le combiné qui prend au bout du fil.
> Allo…
> Bip-Bip-Bip…
Bon, il a raccroché, je fais de même et retourne sans plus tarder vers la piste. Je demande la position de mon élève auprès des moniteurs présents sur les lieux.
> Il vient de passer vent arrière. Tiens là-bas ! (en le désignant du doigt), il y en a un ou deux autres dans le circuit.
Tout à l’air de bien de se passer. Planté dans l’herbe, je ne le quitte pas des yeux.
Étape de base. Dernier virage.
Tiens, il a viré un peu tôt, il est trop haut, donc trop long !
> Alors tu réduis, ou quoi ? Ah ça y est… quand même !
Puisqu’il est trop long, il vient chercher l’entrée de bande en poussant sur le manche, tout ce qu’il ne faut pas faire ! On peut tout leur expliquer, c’est là que l’on voit qu’on a perdu son temps. Ils ne comprennent rien !
La loi de la conservation de l’énergie s’applique dans toute sa rigueur, il perd de la hauteur, mais prend du badin, ce qui l’allonge encore un peu plus. Pour corser le tout il donne du pied et du manche dans tous les sens: une macédoine indescriptible : pente, cadence, inclinaison, tout y passe. Une démonstration de glissades transformées en dérapages ; à droite, a gauche… Mais qu’est ce qui lui arrive ? Je commence à m’inquiéter car il tarde à remettre les gaz.
Autour de moi, les commentaires vont bon train.
> Hé Coudu, il déconne ton mec.
> Je ne sais pas ce qui se passe. C’était impeccable tout à l’heure. Il ne m’a jamais fait un truc pareil..
Pendant ce temps, la démonstration se poursuit. Avec un badin des plus sérieux, il percute la planète, juste a l’entrée de piste qu’il voulait manifestement atteindre. Heureusement il a tout de même pense à réduire. ll rebondit une dizaine de mètres de hauteur.
Alors ?…Alors, manche en avant et il incline en plus. Boum sur une roue…et boum sur l’autre. ll passe du plein gaz au plein réduit à plusieurs reprises, en quelques secondes.
Six cents mètres de piste… que c’est court. Il arrive aux deux tiers… Je crains le pire…Ouf, remise des gaz ! ll était temps !
ll a même pense à remettre plein riche et plein petit pas. Aucun doute sur la question, c’est un expert, mais je me fais du souci.
Par chance, puisque tout ne peut aller au plus mal, il n’y a personne sur la route qui relie l’escadron avion au Kremlin. La clôture est un peu haute, quant aux pins, ‘est bien qu”ils ne soient pas plus grands. Ça passe juste, mais ça passe.
Je commence à prendre des tours devant un tel spectacle. Je ne saisis pas ce qui se passe. D’ordinaire il est plutôt du genre cool, comme on dit maintenant.
Les conseils fusent de toutes parts autour de moi.
> Prends la radio et parle-lui. Rassure-le, il a l’air complètement paniqué !
Un autre s’empresse à la surenchère et aux sous-entendus…
> S’il se plante et qu’il se tue, je ne voudrais pas être a ta place. On n’a jamais eu le cas. Çà serait la première fois à Dax !
Pas franchement rassuré sur l’avenir, je monte dans la Lustucru et m’empare du micro.
> Bon, Van, vous allez en vent arrière en vous éloignant du terrain. Vous vous décontractez et cette fois vous vous présentez plus court avec du moteur, OK ?
Mon intention est de le faire se poser en sécurité et d”arrêter le massacre.
Pour toute réponse je ne reçois que des grognements hachés et inaudibles.
Après ce retour au calme, il se présente à nouveau. Cette fois, pour être court, on ne peut pas lui contester la chose, il est vraiment court et du moteur… il en a gardé le bougre !
ll touche violemment sur une roue puis sur l’autre. La moitié de la piste est effacée en zigzag, moteur réduit. ll remet plein gaz et se lance dans une série d’oppositions de fuselage que je me garderais de conseiller aux meilleurs. Pied a droite, manche à gauche. Comme ça ne va pas, pied à gauche, manche à droite. ll repart au ras des pâquerettes. Prise de vitesse. Montée en chandelle. Remise en palier, à la limite du décrochage, toujours plein gaz !
« Merci mon Dieu ›› et vire à gauche vers la vent arrière.
Je ressaute sur le micro.
> Bon, Van, vous allez faire exactement ce que je vous dis maintenant. Vous me recevez ?
En retour j’entends de nouveaux grognements aussi incompréhensibles que bizarres.Je lui fais faire un tour de piste commenté dans les moindres détails jusqu’au dernier virage ou il est plutôt long et n’en fait manifestement qu’à son idée.
Pour améliorer la finale, il a du badin, ce qui l’allonge encore. Bon, qu’est-ce q’il va me faire cette fois ? Le résultat ne se fait pas attendre. Manche à droite pour désaxer, plein réduit puis manche à gauche et pied à droite = glissade. Mais alors la glissade hors sécurité. Le nez en l’air !
Je reprends quelques tours supplémentaires à la pensée que s’il décroche ça ne pardonnera pas. Au moment où le train va toucher, il rétablit sur l’axe, petit coup de manche en avant pour ne pas rebondir, fuselage à l’horizontal, il me fait un atterrissage de piste, comme un grand. Il y a vraiment quelque chose d’anormal. Je reste coi au milieu du silence qui m’entoure.
Personne ne souffle mot. Ce que je viens de voir n’est qu’au programme «perfectionnement»…
ll dégage sur le taxiway, fait ses procédures après atterrissage et vient se parquer près de la « Lustucru ». Quand je m’approche pour lui demander des explications. ll baisse la tête pour se dessangler. A ce moment j’ai un doute car le visage casque que j’aperçois au travers du cockpit me ressemble pas tellement a mon élève.
C’est alors que je vois sortir du hangar le plus proche, Van Olfen, qui, de sa cachette, s’était régalé du spectacle. Simultanément je découvre le visage du lieutenant LE NINAN, leader de la patrouille voltige, qui arbore le sourire du farceur satisfait de son bon tour.
Soulagé, mais un peu vexé tout de même, je laisse éclater un magistral « Ah les salauds!››qui sort du cœur et finit de me réconforter.
Tout le monde éclate de rire, même les coupables. Dans mon immense soulagement je les accompagne. Le calme étant revenu après tous les commentaires d’usage, je pointe un index accusateur vers Van Olfen.
> Vous, vous allez me faire un tour de piste, et pas deux. Et vous me le fignolez en respectant le cadre et les paramètres parce que cette fois tous les téléphones de la base peuvent sonner, je ne bouge pas.
Fort de ces recommandations, le tour de piste qu’il me fit alors, ressemblait beaucoup plus à ce que j’attendais, qu’aux horreurs que je venais de supporter et le mot est faible !
Après quoi je l’invitais cordialement à réparer l’outrage, non pas sur le pré, mais au lieu dit « l’0asis »›› sis, au séminaire, où les papotages allaient bon train pendant que nous trinquions à l’amitié.
Michel Coudurier
Alias « moustaches kakies ›› (ndlr)
Je connaissais bien cette histoire ca c’est Michel qui m’a fait ma qualif 206 à La Teste et il m’ l’avait raconté avant mon lâcher . Quand cette aventure lui est arrivé je me préparais à partir e Martinique pour 3 ans !