L’hélicoptère, instrument de navigation polaire.

Premier brise-glace français conçu et réalisé pour permettre une exploration au pôle Nord, le “Commandant Charcot” a effectué en juillet 2022 sa première expédition sous la conduite du commandant Patrick Marchesseau. Le pôle Nord était pour Gérard David un vieux rêve de pilote, sachant que, malgré sa grande expérience, il n’aurait aucune chance d’y poser un jour ses ailes. Aussi, quand la compagnie Ponant décida, en 2017 , de construire et d’exploiter le premier brise-glace destiné à gagner le pôle Nord avec des passagers, il décida aussitôt de s’inscrire pour le premier voyage. Les retards dans la livraison du navire, unique à beaucoup d’égards, puis le Covid ont repoussé à l’été 2022 cette expérience exceptionnelle. Aujourd’hui, il peut faire profiter et faire partager cette aventure à nos membres et amis des Ailes de la Gendarmerie, toujours avides de curiosités aéronautiques inattendues, puisque le brise-glaces emportait un hélicoptère de reconnaissance dans ses cales.

La présence à bord d’un hélicoptère Ecureuil* était destinée au repérage des zones de glaces praticables pour le bateau, qui, malgré une structure et une puissance remarquables (coque renforcée de 6cm d’épaisseur – 2 fois 17 mégawatts par moteur), était limité lorsque les hauteurs de glace peuvent atteindre 2m50 sur la banquise ! Cela a conforté notre camarade, dans son désir de nous conter cette histoire inattendue et surprenante d’un Écureuil premier et seul du genre au pôle Nord.

  • Ecureuil AS355N – Airbus Helicopters

Si l’hélicoptère était destiné en priorité, à la reconnaissance des zones praticables par le navire, l’Écureuil bimoteur et son équipage ont aussi été utilisés, lorsque les conditions météorologiques particulièrement imprévisibles et hostiles des latitudes extrêmes arctiques le permettaient, à déposer sur la banquise à plusieurs reprises une équipe internationale de six scientifiques. Celle-ci était composée de naturalistes, climatologues, et océanologues. Leurs compétences leur ont permis d’effectuer de multiples observations, prélèvements, analyses, et recueil de données (températures, vents, salinité, types et épaisseurs de glaces) nécessaires à une meilleure connaissance de ces territoires, encore inconnus et dont dépend en grande partie l’avenir de notre planète.

Gérard David, est chargé des relations avec le monde civil au sein de l’Association les Ailes de la Gendarmerie. Officier de gendarmerie de réserve citoyenne, Gérard a un passé aéronautique prestigieux, avec 14000 heures de vol avion et 4000 heures de vol hélicoptère, comme pilote et instructeur. Ancien directeur des relations extérieures chez Dassault Aviation, notre ami a été le président fondateur de l’Union Française de l’Hélicoptère, mais aussi président de multiples associations liées à l’aéronautique (Aéro-club de Méribel, avions de collection Dassault Aviation).

Gérard David.

Accessoirement, mais seulement quand la proximité, rare, de terres praticables, étaient compatibles avec l’autonomie de l’Ecureuil, il aurait pu servir à une évacuation sanitaire urgente. Ceci malgré l’interdiction de tout vol édictée par le gouverneur du Svalbard pour des raisons écologiques. Seuls les deux Super Puma AS332 officiels (plus un de réserve) de l’archipel sont autorisés à voler au Spitzbzerg.

Point ultime de convergence de tous les méridiens.

Le pôle Nord : le navire a atteint le toit du Monde depuis le Svalbard. Par 90° de latitude nord, c’est le point origine de tous les méridiens. Lorsque vous êtes sur la position, vous pouvez vous amuser à faire le tour de la terre à pied en quelques instants.

Le “Commandant Charcot” : ce navire à propulsion hybride (fuel léger et gaz naturel, 4 mois d’autonomie) ) est particulièrement étudié pour respecter, sans aucun rejet extérieur, l’environnement fragile de ces zones maritimes menacées. Il emporte 120 passagers payants en grande majorité, mais aussi des invités (journalistes, scientifiques) pour 206 membres d’équipage qui s’occupent de l’ensemble des tâches techniques et logistiques à bord (passerelle, machines, guides, conférenciers, hôtellerie-restauration, etc.). Une vraie et grande première réussie sur toute la ligne.

NB : Une semaine auparavant, le prince Albert II de Monaco avait privatisé le navire pour sa famille et ses invités, pour faire le tour du Svalbard sur les traces de son grand père Albert 1er, explorateur et océanologue averti du début du XXème siècle.

Sur le pont avant du “commandant Charcot”, l’hélideck où stationne l’Ecureuil.


Sur l’affichage du GPS, on remarque la route vraie suivie, sans pilote automatique, par le navire, louvoyant sur la banquise par rapport à la route théorique prévue. Cette route pratique est définie par l’hélicoptère, afin de trouver les zones de moindre glace ou d’eaux libres décelées.

La carte indiquant la position des glaces.

La carte des glaces, premier outil de prévision météo pour naviguer vers le pôle Nord. L’hélicoptère du bord sera chargé d’aider le commandant Marchesseau, capitaine du navire, à définir sa stratégie de choix de route. Il s’agit d’affiner l’itinéraire le meilleur possible, où l’étendue et l’épaisseur de la glace seront les moins pénalisantes, en termes à la fois de temps de trajet et d’énergie nécessaire au franchissement de la banquise. On voit déjà sur ce document pourquoi entre l’archipel du Svalbard (Spitzberg) et le pôle Nord, la ligne droite est impensable, car après un départ de Longyearbyen vers le Nord, l’exploration va exiger une mise de cap à l’Est , suivie d’un cheminement en zig-zag autour d’un cap nord général vers le 90° N. Tout ceci avec l’aide des repérages de l’Ecureuil.

La route suivie par le navire pour atteindre le Pôle Nord.

Carte des itinéraires suivis à l’aller (en vert) et au retour (en bleu) jusqu’à Kvitoya, l’île blanche, au Svalbard. 13 jours de navigation au total et 24h de « stationnement » et débarquement au pôle Nord, avec trois missions hélicoptère pour 5h de vol, les jours où les vols n’étaient pas interdits à cause du blizzard, des vents violents ou de la visibilité horizontale réduite à 800, cas malheureusement fréquents à ces latitudes. Le plafond requis par l’opérateur Canadian Helicopters, est de 600 ft.

On notera que le pilotage manuel du navire est seul autorisé dans ces conditions extrêmes. Ce brise-glace unique est curieusement maniable et réactif malgré ses 30.000 tonnes, grâce aux 34 mégawatts de ses deux azipods aux hélices tractives (et pivotantes à 360° si besoin) comme celles d’un avion et non pas propulsives comme sur les bateaux traditionnels. Ceci a donné lieu jour et …nuit (ensoleillée à cette latitude) à une route en louvoiement permanent dont le relevé GPS atteste. Grâce à l’hélicoptère et aux mises à jour quotidiennes par satellite des cartes des glaces, le commandant de bord français et le pilote des glaces norvégien ont pu constamment optimiser la trajectoire du Commandant Charcot et lui permettre de gagner 90°N avec un jour d’avance sur l’estimée prévue.

L’équipage de l’hélicoptère.

L’Ecureuil bimoteur 355N, pales démontées bien au chaud dans son hangar des ponts inférieurs, spécialement conçu et réalisé pour ces explorations polaires et son équipage : le pilote français Olivier Mabille et Simon le mécanicien canadien.

Pour ces missions en conditions extrêmes et très particulières, c’est un pilote français aux 5000+ heures de vol dans l’Aéronavale qui a été retenu. Ses expériences multiples et plus spéciales les unes que les autres de CDB super Frelon, Dauphin, Alouette III Marine lui ont ouvert les portes de l’Arctique et de l’Antarctique pour être placé aux commandes du Twinstar français opéré par Canadian helicopters au terme d’un appel d’offres international.

Le contrat est de quatre années, pendant lesquels la machine restera à bord, avec juste un changement d’équipage tous les deux mois. Ses compétences professionnelles aguerries sur tous les océans du monde et ses qualités humaines personnelles lui conféraient toutes les qualités requises pour ce genre d’expédition unique.

A noter que le Commandant Charcot est le seul brise-glace civil et le seul des 16 bateaux de la compagnie Ponant à être doté d’un hélicoptère à demeure, d’un hélideck construit sur mesure et d’un ascenseur style porte-avions pour y monter l’Ecureuil.

Ecureuil AS 355N du “Commandant Charcot”.

Vue inhabituelle du dessus de l’Ecureuil, pales déposées, bien au chaud et à l’abri des vents forts et des pluies verglaçantes, dans son hangar des ponts 3 et 4, et sur la plateforme de l’ascenseur, qui le montera en 8 minutes sur l’hélideck du pont 6. On remarquera qu’il existe une deuxième plateforme susceptible de pouvoir accueillir une deuxième machine. Entre la décision de mettre l’appareil en vol et le décollage, il se passe 1h15-1h30 jusqu’à la mise en place de la flottabilité de secours, dernière opération précédent l’embarquement des passagers, équipés comme le pilote d’amples combinaisons jaunes de survie polaire.

La liste des membres de l’expédition autorisés à monter à bord est très restreinte, et précisément définie : priorité au commandant du navire ou à son second, médecin du bord, scientifiques de la mission dont experts glaciologues, pour autoriser ou non le débarquement des équipes du bord, et éventuellement des passagers, si un « stationnement » du brise-glace est momentanément possible dans les glaces.

Sachant que l’état de la banquise et/ou la présence d’ours polaires pourront l’interdire et qu’il faudra attendre des conditions plus propices et moins dangereuses pour permettre aux explorateurs-expéditionnaires de fouler la mer gelée de l’arctique. Les photographe et vidéaste du bord (deux jeunes femmes) pourront quelquefois faire professionnellement partie du vol, tandis que l’opérateur drone, ancien pilote de chasse, opérera, lui, de l’hélideck, si la force du vent le lui permet.

L’orientation du “H” indique les axes de décollage (à 9h ou à 15H de l’axe du navire).

En arrivant aux latitudes des 80-85èmes la banquise devient plus épaisse et plus étendue. La mer gelée reste encore trouée de « leads » (cheneaux) d’eaux plus ou moins libres, mais au loin elle semble fermée. Le ciel clair et la nécessité d’aller chercher pour le Charcot le cheminement le moins énergivore et le moins chronophage pour atteindre le pôle Nord vont décider de la mise en vol de l’hélico. Le pont 6 à l’avant est donc préparé, bastingages abaissés (à la main pour ne pas risquer de panne, de gel ou de fuite d’huile hydraulique polluant l’océan) et mât du pavillon de proue démonté.

On va pouvoir suivre l’arrivée de l’Ecureuil sur le pont, sa mise en œuvre opérationnelle et son décollage à 90° (sens du H), le navire continuant d’avancer pendant la manœuvre. L’hélideck est certifié pour accueillir des machines pesant jusqu’à 4,3 tonnes, comme il est peint sur le sol. Mais selon le commandant Marchesseau qui a suivi la plupart des opérations du chantier naval, en Norvège, des éléments de 30 tonnes ont transité par le pont lors de la construction finale du navire, ce qui ne peut que rassurer sur la capacité de résistance de cette DZ très particulière. Toutefois les Puma du gouvernement du Svalbard qui ont procédé à des essais d’évacuations sanitaires au Spitzberg ont préféré le faire par hélitreuillage. Ce qui n’a pas manqué de rappeler à Olivier Mabille, le pilote de l’Ecureuil, ses hélitreuillages de jour et de nuit en Super Frelon notamment lors du naufrage de l’Erika sur les côtes bretonnes.

Le commandant Marchesseau à la passerelle du navire.

C’est au commandant du brise-glace qu’il appartient de décider et d’ordonner, en fonction de ses besoins et des conditions du moment la mise en vol de l’hélico. Patrick Marchesseau demande la mission et donne seul le feu vert, mais c’est au pilote qu’il appartient en dernier ressort de décider d’effectuer ou non le vol.  

Plafond (600ft) et visibilité (800m) sont les minima à partir desquels l’opération peut être envisagée. Les expériences très approfondies, chacun dans leur domaine, du commandant et du pilote se conjuguent en parfaite intelligence et connaissance de l’ensemble des éléments pour une prise de décision conjointe.

A partir de là, un ballet parfaitement réglé de tous les opérateurs nécessaires ( pompiers, matelots en charge de l’abaissement des bastingages et du démontage du mât du pavillon de proue, techniciens du hangar et de l’ascenseur) se met en branle. Pour qu’environ une heure plus tard, le décollage puisse avoir lieu.
Les communications entre l’hélico en vol et la passerelle se feront sur le canal 16 Marine (personne d’autre ici sur la fréquence) ou la fréquence aéronautique 123,45 Mhz, bien connue des pilotes pour leurs échanges privés (là aussi, sans aucun risque d’interférence de qui que ce soit avec un quelconque autre appareil en vol dans le secteur!).

Afin de ne pas pénaliser la qualité ou la difficulté des messages radio et faciliter le retour à bord en cas d’aggravation soudaine des conditions météo (vécue avec brouillard survenant d’un coup pendant le vol…), l’hélicoptère ne s’éloignera pas en général de plus de 40 nautiques à l’avant du bateau. Et émettra un message de report de position toutes les 10 minutes à l’intention de la passerelle, qui lui prodiguera en permanence les informations (vent, visibilité, plafond) indispensables pour son atterrissage en toute sécurité.
En échange, l’hélico fera part des caps et des coordonnées  à privilégier pour assurer la navigation la plus judicieuse possible du navire.

Manœuvre de sortie du 355N sur le pont d’envol.

Comme dans un rêve, l’Ecureuil surgit lentement à la montée de l’ascenseur, tête rotor en premier, hors de sa tanière sur le pont 6 dont les bastingages et le mât du pavillon n’ont pas encore « disparu ». Cette manœuvre est rendue possible par un rare concentré de technologies incroyables dont tout le navire, sa propulsion, son ingéniérie, ses systèmes, ses aménagements intérieurs  constituent un exemplaire encore unique.

Positionnement sur l’hélideck.

Contraste saisissant entre les prouesses technologiques et les mille merveilles techniques du “Commandant Charcot”, la mise en place de l’Ecureuil encore tête nue au sortir de l’ascenseur se fait sur roues et à la main, à l’instar des méthodes les plus traditionnelles couramment utilisées dans des contextes plus ordinaires. Rien de nouveau sous le soleil de l’arctique!

Opération qui n’en finit pas d’étonner les marins, les scientifiques et les passagers peu familiers du maniement de l’hélicoptère au sol. Le pont n’est pas encore complètement préparé pour l’envol, comme l’atteste la présence des bastingages encore relevés et du mât portant le pavillon breton, pays du Ponant.

Pales en cours de montage.

Habitué aux grands froids du Québec, Simon le mécanicien canadien trouve que le remontage des pales (déjà deux montées ci-dessus) reste praticable : le vent souffle à 25 kts, en rafales à 35-40 kts et sous une température extérieure de – 5°C. A ceci s’ajoute le ressenti qui, sous l’effet du windchill, descend jusqu’à -17°C !

Dans des conditions « normales », il lui faut, avec l’aide du pilote et des matelots du bord, formés à l’opération, environ 45 minutes pour déclarer l’appareil apte à la remise en service. Avec l’espoir que la météo ne se dégradera pas dans l’intervalle, au point de compromettre le vol, ce qui remettrait en cause le feu vert donné initialement par le commandant.

En 13 jours de navigation aller-retour entre le Spitzberg et le pôle Nord, nous avons bien eu droit à toutes les circonstances possibles, du vol retardé au vol annulé, en passant par le démontage des pales et la descente de l’Ecureuil en urgence pour fuir un blizzard violent.

Montage des pales effectué, roues retirées, flottabilités de secours montées, paré pour la mission.

L’Ecureuil est enfin presque fin prêt pour la mission, les roues sont enlevées et les matelots vont s’empresser d’abaisser les barrières de protection et d’enlever le mât d’étrave afin de libérer la bête! Le navire lui, continue sa course pendant ce temps, à sa vitesse réduite en glaces de 2-3 nœuds, contre 17-18 noeuds en eaux libres. Ceci afin de ne pas fatiguer trop la coque du brise-glace et d’économiser l’énergie nécessaire au franchissement de la banquise.

Contrairement aux étraves généralement pointues et effilées des navires classiques, celle du Commandant Charcot est arrondie, car il ne brise pas la glace, contrairement à ce que son appellation et ses qualités certifiées (classe PC2 autorisant jusqu’à 2m50 de glace) pourraient donner à entendre.

Mais son gros nez rond, grâce à la puissance des générateurs, monte d’abord sur la glace avant de la casser  en retombant , ce qui donne lieu à des craquements étonnants, auxquels on s’habitue, même pendant le sommeil.

Les plaques de glace ainsi brisées, s’écartent sur les flancs du navire et celles qui passent sous la coque sont brisées par les deux hélices à cinq pales (chacune pèse 7 tonnes) des pods puissants qui tractent ses 30.000 tonnes.

Pour être certifié classe polaire 2 PC le Charcot a dû se soumettre à une épreuve obligatoire: se libérer par ses propres moyens d’un mur de crêtes de compression (hummock) de 15 mètres de hauteur (rare malgré tout), en recourant si besoin à la marche arrière rendue possible par l’inversion à 360° des pods, attaquant les glaces qui emprisonnent  le navire, jusqu’à l’en libérer totalement.

Épreuve réussie depuis la passerelle secondaire arrière par les commandants Étienne Garcia et Patrick Marchesseau lors des essais préalables à la mise en service du navire, qu’ils sont les deux seuls autorisés à piloter, en étant aux commandes (on n’ose plus dire à la barre…) de leurs grosses souris d’ordinateur qui font plus penser aux trackpad du cockpit Easy des Falcon les plus récents, qu’aux gouvernails de bateaux classiques.

Décollage imminent.

Barrières abaissées, mât enlevé, passagers embarqués, l’Ecureuil est désormais prêt pour la mise en route. Ses deux batteries, qui ne sont jamais déposées, même quand il reste quelque temps au froid sur le pont, vont permettre une mise en route contrôlée sans risque de hot start de ses deux moteurs Turbomeca Arrius.

Le temps de rappeler aux cinq passagers les consignes de sécurité vitales en cas de problème et de vérifier que tous les paramètres sont dans le vert, le commandant Marchesseau, autorise le décollage. Cette fois, il ne le fait pas de la passerelle, mais de sa place “copilote” à l’avant-gauche. Il va pouvoir aller reconnaître un cheminement « confortable » pour la  poursuite de l’expédition.

Olivier, le pilote, déposera ensuite sur la banquise les scientifiques pour une longue heure de travail intense avant de venir les récupérer, weather permitting.

A noter qu’afin de parer à toute éventualité (blizzard inattendu interdisant leur récupération) ils  sont équipés en plus de leurs combinaisons de survie polaire, d’igloos gonflables, de rations de survie leur permettant de tenir cinq jours isolés sur la glace et de balises GPS permettant à l’hélico de retrouver leur position.

Au retour le commandant Marchesseau se réjouit d’avoir pu tenir quelques instants et pour la première fois, les commandes de l’Ecureuil baguées par Olivier.

Avec la moitié de ses réservoirs remplis, l’hélicoptère dispose d’une heure et demie de vol avant de devoir refueler. Ce qui ne pose pas de problème, les soutes du Charcot lui offrant 50.000 litres de kérosène embarqué pour ses premiers quatre mois de mission, avant rechargement des citernes.

Sa consommation horaire de l’ordre de 200 litres heures n’ayant rien voir avec les 763 tonnes de diesel calculées pour l’aller-retour du navire au pôle Nord. Sachant qu’entre les 4.000 tonnes de fuel léger et les 3.000 tonnes de gaz naturel liquide stocké à -160° le « Commandant Charcot » peut tenir dans la durée, son dernier ravitaillement en GNL remontant à son départ du Havre, au printemps.

L’Ecureuil en stationnaire de contrôle.

Un long stationnaire de contrôle, vérifications des paramètres, essais radio, confirmation par la passerelle (1) du vent, de la visibilité et du QNH du jour (980 hp), puis décollage du bimoteur avec déport immédiat vers la droite et l’arrière du navire qui avance, afin d’éviter que les structures ne viennent frôler ou pire percuter l’Ecureuil. Cette procédure ne ressemble pas à la procédure terrestre standard de décollage en bimoteur (2).

Mais Olivier, le pilote d’hélicoptère, maîtrise parfaitement cette technique particulière de décollage grâce à ses  innombrables décollages et appontages sur hélicoptères légers et lourds dans l’Aéronavale. Il en a souvent réalisé en trimoteur Super Frelon, sa belle machine favorite. Ici, comme la DZ bouge, le décollage vertical est suivi aussitôt d’un déplacement latéral, seule manoeuvre en mesure d’assurer la sécurité. Dont acte du terrien au marin…tous deux aviateurs!

(1) où officie le commandant en second, Robin Lefebvre. Celui-ci est d’ailleurs pilote privé d’avion et il envisage sérieusement à 32 ans une reconversion totale pour devenir pilote de ligne…

(2) Cette procédure issue de la réglementation AIR-OPS, définit pour les appareils bi-moteurs la prise en compte de la panne moteur lors du décollage. Pour cela l’appareil effectue une translation montante en arrière (il recule) avant la mise en translation avant (le décollage), décidée à une hauteur convenable (point de décision au décollage). Ainsi en cas de panne d’un moteur, l’hélicoptère doit pouvoir, soit se reposer au point de départ, soit poursuivre le décollage sur le moteur restant, vers une altitude de sécurité, ce qui permet de poursuivre provisoirement le vol (pour se reposer en toute sécurité).

C’est parti pour une première heure de vol de reconnaissance d’itinéraire de navigation à la recherche de passes de glaces plus friables, récentes de l’année ou plus anciennes mais pas encore trop dures.

Contrairement à ce qui se passe d’ordinaire pour les pilotes, des tâches sombres à l’horizon ne sont pas annonciatrices d’orages ou d’obscurcissement de la visibilité, mais sont au contraire porteuses d’espoir. Elles promettent en effet moins d’épaisseur de banquise, les eaux noires et profondes (entre 3.000 et 4.000 mètres à ces latitudes) venant assombrir et colorer de bleu foncé la transparence de la mer gelée.

Les scientifiques déposés sur la banquise à un endroit où elle atteint au moins 1m50-70, vont mettre à profit cette opportunité exceptionnelle pour se livrer à des expériences qui n’avaient jamais été réalisées ainsi. Ils vont aussi déposer sur la glace de mer (rien à voir avec notre mer de glace…) 250 petits bateaux de bois, abandonnés tels des bouteilles à la mer, pour être récupérés on ne sait où, par on ne sait qui, dans cinq ou dix ans, à l’autre bout de la planète. La météo se maintenant relativement favorable, ils pourront finir la journée en analysant leur butin exceptionnel dans leurs laboratoires du bord, l’un fermé et stérile, l’autre ouvert sur l’eau, pour permettre en continu grâce à des tuyaux immergés d’autres prélèvements rares.

En attente du retour de l’hélicoptère.

Tandis que l’hélico s’éloigne et que la passerelle le perd de vue, la tension va s’accroissant sur le maintien ou non des bonnes conditions météorologiques qui ont permis le vol.

Un échange radio toutes les dix minutes sur la position de l’Ecureuil, la situation de vent et de visibilité mobilise toute l’attention des équipages, marin et aéro. L’expérience prouve en effet qu’une aggravation soudaine de la force des vents ou qu’une brusque diminution du plafond et/ou de la visibilité horizontale serait très vite de nature à mettre en péril grave et réel le retour de la machine à bon port.

Au bout d’une heure, à un peu plus de quarante nautiques du navire, l’hélico fait demi-tour pour revenir à bord au terme de cette première rotation. Les conditions étant restées assez favorables, son retour s’effectuera cette fois sans problème.

La deuxième rotation pour aller récupérer les scientifiques, reste à l’aller correctement envisageable et conduite. En revanche au retour la brume commence à se transformer en brouillard et l’approche s’annonce plus difficile que prévu.

Le commandant stoppe pratiquement le navire pour simplifier la tâche du pilote et faciliter sa finale que l’on voit ici. Après le blanc-bleu des vols précédents, fait de rayons de soleil perçant les nuages, de ciel presque bleu, de mer marine et de banquise immaculée, voici que le tout blanc de blanc se transforme vite en un gris uniforme et hostile.

Quand le pilote annonce enfin avoir visuel sur le bateau, les esprits se détendent et les vols seront terminés pour la journée qui se finit en zéro/zéro. Surgissent alors les questions sans réponse : à quelques minutes près si la visibilité quasi nulle interdisait l’appontage, que deviendrait l’hélicoptère privé de tout œil humain et instrumental ?

Les discussions qui s’ensuivront, dans le brouillard le plus complet, sous la verrière du pont 8 observatoire, ne pourront que renvoyer aux évocations historiques des Nansen, Amundsen, Cook, Peary, Nobile et autres Andrée dont seule la mémoire peut venir illustrer le tragique de la conquête des pôles.

Et rappeler qu’un siècle après, malgré toutes les avancées techniques et les progrès inouïs accomplis, une expédition au pôle Nord, reste aujourd’hui encore une aventure jamais gagnée.

Fin de mission.

Finalement bien re-posés, le pilote et l’Ecureuil vont pouvoir s’accorder un repos bien mérité. Pales démontées, ascenseur redescendu, la machine va retrouver son hangar confortable. Et le pilote aura effectué des heures de vol encore mémorables, en partageant les souvenirs d’une autre traversée de l’Atlantique (voir AéroGend Numéro 56). https://fr.calameo.com/read/006352873313152406efc

Même si les passagers ignorant les termes du contrat et les conditions imposées pour la présence à bord de l’hélicoptère regrettent de ne pouvoir l’utiliser, il a une fois de plus rempli sa mission dans des conditions louables. Un jour viendra peut-être avec le temps, où les vols « touristiques »auront peut-être une chance de pouvoir se faire en toute sécurité.

À la satisfaction du devoir accompli pour l’accès au pôle Nord, s’ajoutera alors le bonheur intense et immense du survol inouï des étendues arctiques infinies, à la recherche du mythique ours bleu, qui n’existe que dans les légendes inuites. Elles racontent que sous un ciel bleu ensoleillé,  la peau de l’animal se teinte, par un jeu de lumière incroyable, en couleur de méthylène.

Défilé du 14 juillet par 90° de latitude Nord.

On a le défilé que l’on peut.

Le nôtre en ce 14 juillet 2022 , date de notre arrivée au pôle Nord restera inoubliable. Et si l’hélicoptère n’eut pas la possibilité de se transformer pour l’occasion en Patrouille de France, les « snowmobiles » du bord et  l’incroyable amphibie russe Sherp, se livrèrent sur les 10 cm de neige fraîche et poudreuse qui recouvraient la banquise, à une parade de grande classe.

Monté sur sa motoneige … présidentielle, le Commandant Marchesseau la menait fièrement. Le tout accompagné de champagne (frais évidemment) et de caviar servis, sur des buffets tricolores improvisés, pour célébrer cette sorte de victoire improbable constituée par la première accession du commandant Charcot, premier et unique brise-glace civil français, au 90°00,000 Nord, avec Ecureuil à son bord!

Aller au pôle Nord, certes, avec un navire conçu et réalisé pour ce faire, et un hélicoptère à bord pour servir principalement d’instrument de navigation polaire, en mission de repérage des passages de l’océan Arctique les plus propices à l’avancée du Commandant Charcot.

La trace des difficultés pour atteindre le 90°N.

Mais trouver le pôle Nord et très précisément la latitude 90.00.000 nord est une opération dont je n’imaginais pas le caractère aléatoire et improbable. Car si, au fond de la mer le pôle Nord est bien matérialisé pour toujours par un bloc de béton portant le drapeau russe, déposé à 4.000 mètres de profondeur par un sous-marin soviétique pour marquer symboliquement leur appropriation du lieu, il reste malgré tout un « territoire » bénéficiant du statut d’eau internationale, donc libre d’accès et n’appartenant à aucun état du monde.

En revanche, à la surface, le pôle Nord est beaucoup plus difficile à identifier. En effet, entre la dérive des glaces, la banquise à briser, les vents forts, le déplacement du bateau sur son aire même à très faible vitesse, la lecture erratique des instruments de navigation, atteindre sur les écrans de tous les GPS de la passerelle dont d’ailleurs les chiffres diffèrent les uns des autres, la vision rêvée et tant attendue 90.00.000 N est un exercice dont on n’imagine pas la difficulté et la quasi impossibilité.

De plus, au sommet du monde, point origine aussi de tous les méridiens, où le moindre mouvement vous fait faire le tour de la terre en quelques secondes, alors qu’on espérait s’arrêter au pôle Nord, on réalise vite que l’on ne fera qu’y passer avant de pouvoir « stationner » à proximité et y débarquer.

Une heure et demie d’efforts aux commandes des trente mille tonnes du Charcot, à petits coups de moteurs et de rotations des pods et de leurs énormes hélices à cinq pales ont été cette fois nécessaires pour enfin pouvoir, au terme de spirales successives et de virevoltes continuelles, lire de nos propres yeux la position miracle.

Le relevé GPS ci-dessus, incroyable si on ne l’a pas vécu à bord aux côtés du commandant dans sa quête du Graal arctique , retrace très précisément les contorsions, évolutions, circonvolutions, révolutions de positions auxquelles Patrick Marchesseau a dû, de tout son art, se livrer pour atteindre son but au bout de 90 minutes. 90 minutes pour être pile poil au 90Nord, c’est plutôt bon signe ! Mission remplie. Avec un immense sourire si l’on veut bien remarquer que l’une des arabesques accomplies a la forme d’un ours blanc dansant, le crazy bear dancing des Inuits du Nunavut !

Le toit du monde.

No comment! Pas une ligne à ajouter à la lecture rare et si difficile à obtenir qui consacre le passage au pôle Nord géographique. 90 degrés, 00 minutes et 000 secondes Nord, on réalise le chef d’œuvre que représente ce passage unique sur le toit du monde où le navire assisté de son hélicoptère ont finalement réussi à nous amener.

Juste pour information, quand on sait que par exemple les jets d’affaires les plus modernes ne sont pas certifiés pour voler au delà du 85° Nord à cause de l’incertitude à ces latitudes des instruments de navigation pourtant les plus évolués mais qui perdent leur fiabilité en approchant du 90°N, on réalise l’exploit que représentent ces chiffres affichés sur les écrans de la passerelle du Charcot.

L’Ecureuil, l’aide indispensable à la navigation en milieu arctique.

Pour fêter l’arrivée au pôle Nord, l’Ecureuil est remonté sur le pont 6. Saisiné, pales remontées et attachées, il peut s’afficher fièrement sous les yeux de l’équipage qui, du haut de la passerelle, lui rend aussi l’hommage qu’il mérite pour sa participation à la réussite de la mission.

Pour la petite histoire, le pilote descendra aussi sur la banquise du pôle pour aller déposer dans la boite postale, jaune PTT et éphémère, installée sur la neige par les guides du bord, une carte à l’intention de son fils. Celui-ci la recevra deux ou trois semaines plus tard, quand le Charcot redescendu à la latitude 78°, en cinq ou six jours selon l’état des glaces, aura retrouvé au Svalbard sinon la civilisation, du moins quelques facilités arctiques.
Il faut noter qu’à Longyearbyen, existe le seul musée au monde, passionnant et émouvant, à présenter la prodigieuse histoire des explorations aériennes du pôle Nord, qui mériterait à elle seule, une vraie consécration mémorielle.

Le brise-glace russe “50 ans de la victoire”

Comment ne pas évoquer au terme de ces récits, le seul croisement effectué pendant notre exploration polaire? Car à part quelques ours, phoques, morses, baleines, belougas, guillemots et sternes arctiques, scrutés, recherchés et suivis quelquefois, la navigation du Charcot vers le pôle Nord reste totalement solitaire.

Hors la rencontre du seul autre navire à passer chaque été depuis trente ans par le 90°N qui est à elle seule un évènement, surtout lorsqu’il s’agit du brise-glace russe à propulsion nucléaire « 50 ans de la victoire », construit en 1995 et qui effectue chaque année des missions « scientifiques » en arctique entre Mourmansk où il est basé, et, en face du Svalbard, la terre François-Joseph où il fait escale avant de regagner la Russie.

Mêmes dimensions que le Charcot et même étrave ronde pour monter sur la glace, mais double de puissance et seul brise-glace au monde de classe 1. Dans le contexte international du moment et de la guerre en Ukraine, les salutations respectives des deux navires furent très cordiales et l’on entendit même les occupants du « 50 ans de la victoire » nous souhaiter un bon 14 juillet.

Inattendu et sympathique en l’occurrence. Et confidence à l’occasion de Patrick Marchesseau : il avait pu il y a quelques années, faire partie d’une mission de reconnaissance entre Mourmansk et le pôle Nord à bord du « 50 ans de la victoire ». Respect en tout cas des deux seuls bâtiments à passer par le Pôle Nord. Même si, mais c’est une autre histoire, il est, paraît-il, assez fréquenté en permanence dans ses fonds sous-marins par des visiteurs secrets de toutes nationalités.

Mais quelles sont ces traces ?

Pour finir une devinette: qu’a trouvé l’hélicoptère en vol? Réponse à suivre…

L’ours blanc solitaire.

Grâce à l’hélicoptère que en a détecté les pas, les pattes et les traces, le bateau trouve en silence l’ours, roi du pôle espéré, en lente majesté de promenade paisible sur un « floe », ces grandes plaques de glace qui alternent avec des « polynies », lacs d’eaux libres, dans les 85èmes Nord avant la banquise compacte qui mènera au 90.00.000 N, le rêve ultime réalisé.

Gérard David.

3 commentaires

  1. Bravo pour cet article très intéressant ! Les passagers ont dû être émerveillés par cette aventure extraordinaire.

  2. Bravo Gérard,

    Par ces temps chauds un peu de fraicheur ne fait pas de mal.
    Sinon pour les puristes l’immatriculation de l’écureuil est C-GPNT.

    Amitiés

    Paul

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