22 Mars 1972 – Glacier de Talèfre.
Il fait très beau sur le massif du Mont Blanc et le temps est très favorable pour une course en hivernale. Jack Sangnier, guide connu et réputé pour ses courses et raids en solitaire part seul pour l’ascension de l’aiguille Verte – 4122m.
Avant de partir, il dit à son épouse : « Je serai de retour le 21 dans la journée, si je ne suis pas là, prévient les secours ».
Avec une météo favorable, tout se déroule selon le plan de marche prévu… enfin presque… Le 18, Jack Sangnier est aperçu sur l’itinéraire par une cordée de deux alpinistes qui effectuent la même course. Ils le croisent, tout va bien et ils ne s’inquiètent pas. Le solitaire arrive au sommet, sans doute admire le paysage , profite du moment. C’est qu’il coûte cher en efforts ce coup d’œil….
Puis, il attaque la descente vers le glacier de Talèfre en empruntant le couloir Whymper. Sur le glacier, il rejoint la trace de la cordée croisée plus haut et la suit quand, subitement, le sol s’efface sous ses pieds; un pont de neige vient de céder. Une chute d’une quinzaine de mètres , pas de bobo, mais voila notre solitaire dans une crevasse avec arme et bagage. Il examine lucidement la situation. Nous sommes le 19 en fin de matinée, l’alerte ne sera donnée que le 21 au soir. Que faire, impossible de sortir seul de ce trou, donc, attendre. Attendre en espérant que le temps reste beau et en observant que le petit trou dans le pont de neige 15 mètres plus haut reste bleu comme le ciel et ne soit pas rebouché par une chute de neige…
« Mon mari est parti seul à l’aiguille Verte, il devait rentrer hier après-midi et il n’est toujours pas là »
Maintenant , il faut organiser le bivouac , faire l’inventaire des vivres et durer trois jours car prévenus le 21 au soir, les secours ne commenceront sûrement que le 22 au matin. Regarder le trou bleu dans le pont de neige… espérer… garder le moral…
Le 21, Mme Sangnier téléphone en fin d’après-midi au PGHM de Chamonix.
« Mon mari est parti seul à l’aiguille Verte, il devait rentrer hier après-midi et il n’est toujours pas là ».
Le PGHM contacte aussitôt le DAG, mais il est déjà tard, la nuit va tomber et à Megève, il neige… Le décollage est prévu le lendemain aux aurores.
Le 22 mars, au lever du jour, aux commandes de l’Al 3 JBL, je décolle de l’altiport de Megève vers Chamonix accompagné de Gerise, le mécanicien. Il fait beau mais, durant la nuit, à Megève, il est tombé environ 30 cm de neige. Si c’est pareil sur le glacier ce sera difficile de repérer les traces.
« Je vous attendais, je savais que mon épouse vous appellerait le 21 au soir »
A Chamonix, j’embarque deux secouristes, les gendarmes Grospellier et Rosset, et nous montons vers le glacier de Talèfre. Surprise ! sur le glacier il n’a pas neigé et les traces sont bien visibles. Je les suis en remontant vers le bas de l’aiguille Verte. Traces confuses, tient, un petit trou dans la trace puis voila le couloir Whymper avec la trace de descente d’une personne seule puis un autre couloir immédiatement à côté avec la trace de deux personnes.
Déduction rapide pour savoir à qui appartiennent ces traces. Retournons, nous intéresser à ce petit trou aperçu plus bas. Les sauveteurs sont déposés à proximité et je m’éloigne pour ne pas les gêner. Appels… Réponse… il est bien là, et en pleine forme après trois jours d’attente.
« Je vous attendais, je savais que mon épouse vous appellerait le 21 au soir et quand j’ai vu par le trou qu’il n’avait pas neigé je savais que vous seriez là ce matin ».
Effectivement, il attendait après avoir plié son bivouac, prés au départ.
Pendant la descente vers Chamonix, il se plaint seulement un peu d’une épaule. A l’arrivée, les secouristes l’invite à monter dans l’Estafette pour le déposer à l’hôpital, une ambulance n’est pas nécessaire.
« Non, non ! Répond-il, vous me déposez chez moi, je prends une bonne douche, un casse-croûte et j’irai à l’hôpital après ».
Quelle santé et surtout, quel moral…
Magnifique récit d’un sauvetage réussi, grâce à la précaution d’avoir dit de prévenir les secours si pas rentré à 21h (à toujours faire quand on part en glacier en avion), grâce à la météo, pas de neige tombée sur le glacier, grâce au pilote et mécano et aux gendarmes sauveteurs: une conjonction heureuse d’éléments favorables, quand la conjonction malheureuse d’éléments défavorables conduit inéluctablement à la catastrophe…
Merci Gérard. Effectivement, nous avions a faire à un solitaire mais professionnel qui n’oubliait pas sa propre sécurité…
un secours mené avec rigueur et méthodologie par les secouristes gendarmes pilote mécanicien. L’importance de laisser son itinéraire et les recommandations d’usage..
les professionnels connaissent leurs limites mais force est de constater qu ils ne sont pas exempt du danger .Toutefois ils appréhendent le secours.
Une mission qui s achève dans de bonnes conditions