Lorsque la municipalité d’Anglet invite l’ensemble des protagonistes à commémorer un sauvetage où la vie n’a tenu qu’à un fil, les émotions sont au rendez-vous, et chacun peut se refaire le film des évènements qui ont conduit à cette catastrophe maritime au cours de laquelle ECU64, l’appareil du détachement aérien de la gendarmerie de Bayonne *était engagé.

* aujourd’hui Section Aérienne de la Gendarmerie

Le 5 février 2014, à l’entrée de l’Adour, un cargo espagnol de 100 mètres et jaugeant 4600t, le LUNO, avec onze membres d’équipage à son bord, était victime d’une double avarie électrique qui le privait totalement de sa manœuvrabilité ; La mer est démontée avec des creux de 7 à 8 mètres parfois plus*. Malgré les efforts de l’équipage du remorqueur BALEA du port autonome, le bateau allait rapidement dériver vers la digue sud de l’entrée du port, à la plage des Cavaliers à Anglet, où il va s’échouer.


* la bouée houlographe a effectué une mesure à près de 15m!

Hommage de la ville d’Anglet

Le 5 février 2024, précisément dix années après la catastrophe, la municipalité d’Anglet, à découvert une plaque pour commémorer le sauvetage des marins, réalisé par hélitreuillage par le Puma « Raffut SAR » de l’EH 64 de Cazaux. La Section Aérienne de Gendarmerie de Bayonne a reçu des mains du maire, Mr Olive, la médaille de la ville destinée à honorer la participation des équipages d’ECU64 aux opérations.

Le maire avec l’équipage du Puma
Mr Olive remettant la médaille de la ville à l’équipage d’ECU64
Retour sur les évènements.

La tentative du BALEA, un second naufrage fut possible à cet instant !
On ne parlera pas assez de la tentative de cet équipage, qui par une mer démontée a tout essayé pour placer le Luno hors d’atteinte des blocs de béton de la digue ; Une première poussée réussit à placer le cargo face à l’assaut des vagues, mais au cours de cette manœuvre, le remorqueur reçoit les déferlantes sur son flanc et les spectateurs horrifiés, massés sur la promenade en bord de côte d’Anglet, voient le remorqueur se coucher littéralement dans les flots. A bord, les marins se sentent perdus, l’eau entre dans la cabine, et les machines sont stoppées. Le capitaine se retrouve les pieds sur la vitre latérale de la cabine, l’eau sous les pieds, par chance elle n’a pas cédé sous son poids. Heureusement, par un coup de la providence le remorqueur se redresse, les machines sont redémarrées et, pour eux, il est temps de rentrer au port. Ce sera la frayeur de leur vie, mais ces hommes ont tout donné avec un courage incroyable.

L’équipage du Balea : Laurent Comier, Thierry Placé, Fabrice Domengé et Philippe Etienne.

Le remorqueur Balea, couché par une vague. Photo : Kepa Etchandy.
Le récit incroyable du patron du Balea (Sud Ouest du 4 février 2019)

« J’ai vécu d’autres tempêtes, mais les images du Luno reviennent » L’équipage du remorqueur a tenté de le sauver, en vain. Par deux fois en quelques minutes, ils auraient pu y laisser la peau. Un traumatisme pour Laurent Comier qui commandait le Balea , ce 5 février 2014. « C’est une date à part », souffle-t-il, cinq ans plus tard. Celle ou lui et les trois autres hommes à bord du remorqueur ont senti la mort les tirer par la manche. « On s’est vu perdu… » Deux fois dans leurs tentatives pour sauver le Luno du naufrage, ils ont failli laisser leur peau. Une terreur du fond des âges, qui fait partie d’eux désormais.

Ce jour-là, une première avarie frappe le cargo, long de 100 mètres. Il est encore au large. Les machines vont repartir, mais pas pour longtemps. « On attend à l’intérieur (encore sur l’Adour, NDLR) quand survient la deuxième avarie. On doit y aller. Mais il est dans la passe, le pire endroit pour intervenir. » Là où luttent le fleuve en crue et une houle énorme. Deux forces en opposition.

LE BALEA SUR LE FLANC.
Le Balea s’approche au plus près du vraquier pour tenter de l’accrocher. « On a failli réussir. On est à quelques mètres. Peut-être trois ou quatre. Et là, il y a cette vague qui arrive et propulse le Luno sur nous. On a un mur d’eau derrière nous ». Des creux de 5, 6 mètres hachent l’océan. « Le Luno se soulève jusqu’à voir l’étrave au-dessus de nous. On se dit qu’il va nous retomber dessus». Et défoncer le remorqueur… Le coup passe très près.

« L’autre image qui me revient toujours, c’est le Balea couché sur le flanc. » Quelques minutes plus tard, la houle entraîne le Luno vers les rochers de la digue. « Le pilote me crie dans la radio ‘‘pousse-nous ! Pousse-nous !’’ Ce que je fais. » Le navire en perdition prend des paquets d’eau en travers. Chaque vague menace de le faire chavirer. Il faut le remettre face aux déferlantes. « Alors nous sommes allé le pousser sur le côté pour le remettre dans le bon sens. » Plein gaz, le Balea y parvient.

« Mais c’est nous qui nous retrouvons en travers et une vague nous couche. » La moitié de la cabine est immergée. Laurent Comier se revoit, « le pied droit posé sur une vitre ». Le fond sous la semelle. Ils vont sombrer. « Mes gars sont aussi à l’intérieur de la passerelle (1), nous sommes les quatre en haut. nous nous accrochons à tout ce que nous pouvons. »

Mais ce bon vieux « Balea » ne va pas les lâcher. Le remorqueur, très équilibré va faire un heureux culbuto. « La constitution de ce bateau nous a sauvés. Après tout ça, j’ai envoyé un message à Damen, son constructeur néerlandais. Pour lui dire merci. »

Les images reviennent. C’en est fini pour les hommes du remorqueur.
« J’avais de l’eau partout dans la machine. » Le Balea se met automatiquement en mode dégradé. Une fonction de sauvegarde qui le prive de sa puissance. « Les moteurs tournent au ralenti. On ne peut plus rien faire. » La suite appartient à l’océan et aux autres sauveteurs.

« J’ai réussi à orienter le Balea pour que les vagues nous portent vers l’entrée du port. » En surf. « Il y a un avant et un après Luno pour nous. Nous sommes tous passés à autre chose dans les deux ans qui ont suivi. Voire changé de vie. » Laurent Comier commande toujours un remorqueur, mais lors de missions lointaines. « Le Luno revient tout le temps. Je fais des assistances régulièrement. J’ai mis beaucoup de temps à me reconstruire professionnellement. J’ai vécu d’autres tempêtes, mais à chaque fois que je me retrouve dans des conditions dures, ce sont les images du Luno qui reviennent. » Le marin revoit l’étrave du navire au-dessus de son équipage. Son pied sur la vitre immergée. Il conserve des photos de ce jour-là dans son téléphone. « Je finis toujours par les montrer pour en parler. » (1) La cabine supérieure.


Le pilote du port autonome.
Avec les onze marins du vraquier, restait à bord le douzième homme, Georges Strullu le pilote du port autonome monté à bord avant la double panne et qui a subi toute l’opération. Cet homme a regroupé les marins sur la partie bâbord du château où ils vont vivre des instants d’intense frayeur, lorsque les vagues viennent percuter latéralement le bateau, lui font prendre une gîte qui, à chaque assaut manque de le coucher et explosent à deux fois la hauteur des plus hautes structures du bateau.
Georges Strullu a été un allié précieux puisqu’il a pu signaler le moment où l’hélitreuillage pouvait être possible grâce à sa VHF Marine portable.

Le canot tout-temps de la SNSM.
À 10 h 54, le « Capitaine Martin-Jorlis », bateau de la station SNSM de Bayonne, quitte le port de plaisance du Brise-Lames. Le CROSS vient de leur demander de se porter à proximité du Luno et d’être en mesure d’intervenir dans l’hypothèse probable à ce moment de porter au secours aux marins susceptibles d’être tombés à l’eau.

Ils étaient engagés dans cette opération : Alain Lebec (patron), Pierre Martiarena (patron suppléant), Henri LEDIEU (mécanicien), Bernard Larzabal (mécanicien), Roger Poigt (radio), Grégoire Dupuis (plongeur), Jean-B.Cazenave (plongeur).

Incroyable prise de vue réalisée à bord du Martin-Jorlis le canot tout-temps de la SNSM, engagé dans l’opération.
Des vagues gigantesques frappent le cargo par son tribord.

Les tentatives des hélicoptères, le sauvetage.
Le premier hélicoptère à être engagé est l’ECU 64 du DAG de Bayonne avec à son bord les majors Jean-François Ledieu (pilote) et Laurent Grapotte (MECBO) et le gendarme Bruno Vandoit (sauveteur de bord). Ils sont mis en œuvre par le CROSSA vers 10H20 et ils parviennent sur les lieux du drame à 10H36, au moment où le bateau est drossé à la côte. La partie arrière du navire fini par se poser sur la digue sud. Ils voient les membres d’équipage qui sont regroupés sur la passerelle bâbord du château, chahutés par les mouvements furieux des vagues.

Nos camarades ne vont pas démériter en mettant toute leur expérience en œuvre pour tenter d’approcher le bateau chahuté par les flots. Ils sont pour l’instant le seul appareil d’Etat susceptible de porter secours avant l’arrivée du Puma SAR*. Entre 10H38 et 11H39, les diverses tentatives d’approche et d’hélitreuillage montrent qu’il est trop dangereux de descendre le plongeur dans ces conditions.


Ils effectuent cependant trois tentatives pour que le plongeur parvienne à rejoindre les marins. Mais l’intensité des vagues pendant cette période est telle que le vraquier va se disloquer (10H45) en deux, au moment où Bruno Vandoit s’en approche. Le miaulement des tôles qui se tordent est perçu jusque dans la cabine, et Bruno voit les deux parties se séparer sous ses pieds ; Laurent Grapotte le remonte en cabine, il faut momentanément renoncer.

Une machine plus dimensionnée, un jour?

* c’est toujours le cas aujourd’hui et ce fut le choix en 1980 (date de la création du détachement permanent ) du commandant régional de la gendarmerie d’implanter cette unité dans cette partie du pays: l’Ecureuil de la SAG de Bayonne fait face à six sorties portuaires, entre les Landes et la frontière espagnole, et est susceptible d’intervenir jusqu’à 12NM (20kms) au large du trait de côte.
On peut raisonnablement se poser la question suivante : pourquoi cette unité reconnue pour son efficacité en matière de sauvegarde de la vie humaine, en mer et en moyenne montagne, n’est-elle pas dotée d’une machine plus puissante et plus dimensionnée (et capable d’hélitreuiller deux personnes à la fois).


Les trois tentatives de l’équipage d’ECU64, le moment où le bateau se brise en deux.

Vers 11H30, le Puma « Raffut SAR » de Cazaux, parvenu sur les lieux du drame, fait une tentative qui se solde également par un échec, son plongeur impactant la structure au niveau des antennes radar du Luno, l’équipage décide de renoncer et d’attendre plus près de la marée basse, prévue à 14H50 (coefficient 82). C’est le moment où notre équipage retourne à la base pour ravitailler.

Chaleur pour le plongeur du Puma (0:22″)

Entre 11H50 et 12H02, puis entre 12H20 et 12H36, l’équipage* d’ECU64, de nouveau de retour sur zone, effectue de nouvelles tentatives d’approche, essayant de déterminer si la fréquence du roulis et l’amplitude des mouvements imprimée à la partie arrière du bateau, laissent une opportunité d’intervention. Mais rien n’est encore possible sans prendre des risques inconsidérés.

Capitaine Laurent Saintespes – pilote , l’adjudant Philippe Rogier – MECBO, et toujours le gendarme Bruno Vandoit, sauveteur de bord.

L’équipage décide se poser et d’attendre un moment plus favorable. Le PUMA, qui a fait une autre tentative, fait de même. les équipages des deux machines se retrouvent ensemble au sol pour essayer d’élaborer d’autres stratégies.

Vers 13H10, à l’inversion de la marée, les vagues ont diminué en intensité, les mouvements de la structure calée sur l’épi sud de la plage des Cavaliers sont moins désordonnés. Un appel du CROSS précise que c’est le moment le plus propice pour intervenir. En raison de sa capacité d’emport, et de la possibilité d’hélitreuiller deux personnes à la fois*, c’est naturellement le Puma qui est le mieux placé pour effectuer la manœuvre.
Avec beaucoup de dextérité, l’équipage de l’Armée de l’Air va réussir à hélitreuiller successivement les douze infortunés marins qui retrouveront le sol ferme avec un vif soulagement.

* à l’inverse de l’Ecureuil, sur le Puma, le plongeur reste en liaison permanente avec sa machine, il remonte à chaque hélitreuillage avec la personne assistée.

Equipage du Puma : capitaine Benjamin Bougault, commandant de bord, l’adjudant Grégory Ozoux, mécanicien-navigant, les sergents-chefs Mathieu Briotet, et Philippe Sibon, sauveteurs-plongeurs.

Photo Eric Roustand.
Marée basse, c’est le bon moment pour hélitreuiller.

Au final, c’est le SAMU 64A de Bayonne qui assurera le suivi médical des marins tous en état de choc.

Ce sauvetage restera dans toutes les mémoires en raison des circonstances particulièrement difficiles dues au péril permanent qui pouvait faire basculer le bateau et ses malheureux marins dans les flots démontés ; Il montre qu’à bord des bateaux et des hélicoptères engagés dans cette opération, une seule motivation guidait les équipages : sauver ceux qui étaient à la merci de la mer et mettre toute leur expérience et leur ténacité en ce sens.

2 commentaires

  1. Une reconnaissance une cohésion extraordinaire entre les Équipages où « Oser plus loin » prend un sens particulier.
    Sans jamais mettre la vie des participants en danger..tout ce passe dans les yeux dans les gestes.

    Il est important de ne pas occulter cet engagement et cette priorité Servir, Protéger, Secourir
    Écu 64 , le Puma et les intervenants maritimes ont ce jour là fait preuve de sang-froid maîtrise réflexion adresse professionnelle quand flirter avec les vagues tutoie la ligne rouge.

    Merci Laurent d’avoir honoré réveillé cet intense moment . Ne pas oublier même si le temps passe .. Laurent on te sent encore vibrer d’émotions …quelle abnégation 🫢🫡

    On ne peut qu’être admirative devant un tel combat .

    Cela mérite bien des honneurs et des congratulations. 🫡🇨🇵

    Amitiés sincères. 🚁🇨🇵👌😘 merci pour cette ambiance singulière d’un métier plus que passionnant.
    Sauver des vies en préservant celles des siens 😘🫡

    1. Merci Marie-France, pour ceux qui y étaient. C’est dans ces moments là que la notion de risque calculé prend toute sa valeur. Y aller, oui, personne ne comprendrait le contraire, mais une fois sur place, garder toujours le discernement, l’analyse de la situation, tout ce qui permet de garder le contrôle.

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